Aéronef multi missions canadien : Misons sur nous
Communiqué
24 Jan. 2023
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Lettre ouverte de Daniel Cloutier
Le gouvernement fédéral amorce actuellement un processus d’acquisition qui vise à renouveler la flotte d’appareils de renseignement, de surveillance et de reconnaissance de l’aviation canadienne. Le projet d’investissement appelé « Aéronef multi missions canadien » (AMMC) porte sur le remplacement des CP-140 Aurora. L’échéancier de la défense nationale prévoit que les premières livraisons de ce nouvel aéronef polyvalent auront lieu vers 2033. Une séquence qui s’avère logique si on considère les 2 milliards présentement investis afin de moderniser les équipements et prolonger la durée de vie des appareils en service au-delà de la présente décennie.
Contrat de gré à gré : des révélations inquiétantes
Récemment, un reportage du Ottawa Citizen a révélé que le gouvernement canadien envisagerait de court-circuiter le déploiement du projet AMMC en accordant un contrat de gré à gré à Boeing. Pourquoi? Parce que sans un engagement rapide d’Ottawa, l’entreprise américaine prétendrait ne pas être en mesure de garantir l’accès à l’appareil qu’elle souhaite proposer (le P-8 Poseidon) à titre de remplacement. Dans les faits, le P-8 est une version militaire dérivée du modèle civil 737-800 NG, le précurseur de la gamme 737 MAX, dont Boeing anticipe liquider la ligne de production d’ici 2025. Depuis la publication d’articles sur le sujet, aucun démenti officiel n’a été diffusé, ce qui nous porte à croire que cette option est toujours sur la table à dessin d’Anita Anand, la ministre de la Défense nationale.
Pour nous, il est troublant que le gouvernement canadien envisage un tel scénario. En désavouant les propositions des autres acteurs du secteur aéronautique canadien avant même d’avoir pu évaluer leurs mérites respectifs, le fédéral enverrait un message extrêmement négatif à un secteur industriel névralgique de notre économie. Si l’évolution des priorités de production de Boeing est tout à fait légitime, nous sommes toutefois d’avis qu’elle ne devrait pas avoir un impact aussi déterminant sur les processus d’approvisionnement publics canadiens, particulièrement en matière de défense.
D’autant plus qu’en termes d’offres concurrentes, il existe des plateformes développées par des entreprises canadiennes. On peut penser à la gamme Global Express de Bombardier ou encore au Q400 appartenant désormais à l’avionneur De Havilland, qui sont susceptibles de répondre aux critères en cours d’élaboration par la défense nationale. Alors que les États-Unis, la Suède ou encore l’Allemagne utilisent des flottes d’appareils de renseignement, de surveillance et de reconnaissance développés à partir d’aéronefs dessinés, assemblés et certifiés au Canada, il serait pour le moins absurde que notre propre gouvernement se prive de les considérer dans le cadre d’un projet d’investissement de cette ampleur.
Stratégie industrielle en aérospatiale : prenons les devants
Ce qui nous amène à aborder plus largement les réflexes du gouvernement canadien en matière de stratégie industrielle et de soutien au développement des emplois du secteur de l’aérospatiale. Si la Politique des retombées industrielles et technologiques (RIT) constitue un atout important et qu’elle a pour effet de maximiser les bénéfices des contrats d’envergure une fois qu’ils sont octroyés par la défense nationale, nous croyons qu’elle ne suffit pas à elle seule à déployer tout notre potentiel.
Nous croyons qu’il faut développer une action publique plus proactive en matière d’approvisionnement en défense. En guise de leçon tirée de la pandémie, la dernière mouture de la stratégie aérospatiale québécoise nous rappelle que ce secteur constitue une source de résilience face aux aléas économiques. Ainsi, nous devrions travailler nos besoins stratégiques en amont, tout particulièrement lorsque nous pouvons compter sur des travailleurs et travailleuses qui possèdent l’expertise et que nous détenons, ici même, les capacités manufacturières nécessaires pour réaliser des projets innovants de A à Z.
Nous souscrivons aux récents propos du Directeur de l’Observatoire de l’Aéronautique et de l’Aviation civile, Mehran Ebrahimi, qui soutient que le Canada devrait se doter d’une approche plus affirmée en la matière. Depuis des décennies, tous les pays dotés d’une grappe industrielle en aérospatiale bénéficient d’un maillage conséquent entre les gouvernements et les entreprises, entre les applications civiles et militaires. À l’heure où l’on assiste à des relocalisations industrielles qui s’inscrivent dans des logiques d’intérêt résolument nationales, le Canada ne peut se contenter d’être un simple acheteur désintéressé, bien que sensible aux retombées locales.
Pour soutenir nos emplois, accroître la résilience de notre secteur manufacturier, prendre et défendre notre place au sein des nouvelles chaînes de valeur et dynamiques industrielles qui se mettent en place (friendshoring, intershoring), nous avons tout intérêt à revoir nos ambitions et mobiliser nos acteurs clés. À ce titre, le projet d’investissement en vue d’identifier le prochain « Aéronef multi missions canadien », quel qu’en soit le choix final, représente une occasion de développement dont les diverses propositions méritent d’être soigneusement évaluées.
Unifor représente plus de 11 000 travailleuses et travailleurs de l’aérospatiale au Canada dont environ 6 300 au Québec parmi des entreprises comme Pratt & Whitney Canada, CAE, Bombardier, Héroux-Devtek et CMC Électronique.